UN INCENDIE EN MER

C’était au mois de mai 1838.

Je me trouvais, avec beaucoup d’autres passagers, sur le bateau le Nicolas Ier, qui faisait le trajet entre Saint-Pétersbourg et Lübeck. Comme, dans ce temps-là, les chemins de fer étaient encore peu florissants, tous les voyageurs prenaient la route de mer. Par cette même raison, beaucoup d’entre eux emmenaient leur chaise de poste pour continuer leur voyage en Allemagne, en Françe, etc.

Nous avions, je m’en souviens, vingt-huit voitures de maître. Nous étions bien deux cent quatre-vingts passagers, dont une vingtaine d’enfants.

J’étais très jeune alors, et, ne souffrant pas du mal de mer, je m’amusais beaucoup de toutes les nouvelles impressions. Il y avait à bord quelques dames, remarquablement belles ou jolies. (La plupart sont mortes, hélas!)

C’était la première fois que ma mère me laissait partir seul, et j’avais dû lui jurer de me conduire sagement, et surtout de ne pas toucher aux cartes... et ce fut précisément cette dernière promesse qui fut enfreinte la première.

Un soir, en particulier, il y avait grande réunion dans le salon commun, entre autres plusieurs banquiers bien connus à Pétersbourg. Ils jouaient chaque soir à la banque (sorte de lansquenet), et les pièces d’or, qu’on voyait alors plus souvent qu’à présent, faisaient un cliquetis étourdissant.

L’un de ces messieurs, voyant que je me tenais à l’écart, et n’en sachant pas la raison, me proposa brusquement de prendre part à son jeu. Comme, avec la naïveté de mes dix-huit ans, je lui expliquai la cause de mon abstention, il partit d’un éclat de rire; et, s’adressant à ses compagnons, il s’écria qu’il avait trouvé un trésor: un jeune homme n’ayant jamais touché une carte, et par cela même prédestiné à avoir une chance énorme, inouïe, une vraie chance d’innocent!..

Je ne sais comment cela se fit, mais, dix minutes plus tard, j’étais à la table de jeu, les cartes plein la main, ayant une part assurée et jouant, jouant comme un fou.

Il faut avouer que le vieux proverbe n’avait pas menti. L’argent

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venait à moi à flots; deux monceaux d’or s’élevaient sur la table, des deux côtés de mes mains tremblantes et couvertes de sueur. Le banquier qui m’avait entraîné ne cessait de me pousser, de m’exciter... Vrai, je croyais ma fortune faite!..

Tout à coup la porte du salon s’ouvre toute grande, une dame s’y précipite, crie d’une voix éperdue et mourante: «Le feu est au bâtiment!» et tombe évanouie sur le sopha. Ce fut comme une commotion violonte; chacun s’élança de sa place; l’or, l’argent, les billèts de banque roulèrent, s’éparpillèrent de tous côtés, et nous nous précipitâmes tous dehors. Comment n’avions-nous pas remarqué plus tôt la fumée qui nous envahissait déjà? Je n’y conçois rien! L’escalier en était déjà plein. Des reflets d’un rouge épais, d’un rouge de charbon de terre éclataient par-ci par-là. En un clin d’æil tout le monde fut sur le pont. Deux larges tourbillons de fumée montaient des deux côtés de la cheminée et le long des mâts, et un vacarme effroyable s’éleva pour ne plus cesser. Ce fut un désordre indicible; on sentait que le sentiment de la conservation s’était violemment emparé de tous ces êtres humains, de moi tout le premier. Je me rappelle avoir saisi un matelot par le bras, et de lui avoir promis 10000 roubles de la part de ma mère, s’il parvenait à me sauver. Le matelot, naturellement, ne pouvait prendre mes paroles au sérieux, il se dégagea de mon étreinte, et moi-même je n’insistai pas, voyant bien que ce que je disais n’avait pas le sens commun. Du reste, ce que je voyais autour de moi n’en avait guère plus. On a bien raison de dire que rien n’égale le tragique, si ce n’est le comique, d’un naufrage en mer. Par exemple, un riche propriétaire, saisi de terreur, rampait à terre en baisant frénétiquement le plancher, puis, comme l’eau abondamment jetée dans les ouvertures des magasins à charbon avait momentanément dompté la violence des flammes, il se redressa de toute sa hauteur, et s’écria d’une voix de tonnerre: «Hommes de peu de foi, avez-vous pu croire que notre Dieu, le Dieu des Russes, nous abandonnerait?» Mais à l’instant même les flammes jetèrent une poussée plus vive, et le pauvre homme de beaucoup de foi retomba à quatre pattes et se remit à baiser le plancher. Un général, l’æil hagard, ne cessait de crier: «Il faut envoyer un courrier à l’Empereur! On lui a envoyé un courrier lors de la révolte des colonies militaires, où j’étais, moi, en personne, et cela a servi à sauver quelques-uns d’entre nous!» Un monsieur, le parapluie à la main, se mit tout à coup à crever avec fureur un mauvais petit portrait à l’huile attaché à son chevalet (qui se trouvait là, parmi les bagages), en perçant avec la pointe de son parapluie cinq trous à la place des yeux, du nez, de la bouche et des oreilles. Il accompagnait cette destruction d’exclamations: «A quoi cela peutil servir maintenant?» Et cette toile ne lui appartenait pas! Un gros personnage, tout inondé de larmes, ayant l’air d’un brasseur allemande, ne cessait de vociférer d’une voix larmoyante: «Capitaine! capitaine!»

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Et lorsque le capitaine, impatienté, le saisit à la fin par le collet de son habit et lui cria: «Eh bien, quoi? Je suis le capitaine. Voyons, que voulez-vous?» Le gros personnage le regarda d’un air hébété et se remit à geindre: «Capitaine!»

Ce fut pourtant ce capitaine qui nous sauva la vie à tous. Premièrement, en changeant, au dernier moment où l’on pouvait encore entrer dans la machine, la direction de notre navire, qui, en filant tout droit sur Lübeck, au lieu de virer brusquement sur la côte, aurait infailli blement brûlé avant d’arriver au port; et deuxièmement, en ordonnant aux matelots de tirer leurs coutelas et de faire impitoyablement main basse sur toute personne qui essaierait de toucher à l’une des deux chaloupes qui nous restaient encore, les autres ayant chaviré par l’inexpérience des passagers qui avaient voulu les mettre à la mer.

Les matelots, Danois pour la plupart, avec leurs figures énergiques et froides, et le reflet presque sanguinolent les flammes sur les lames de leurs couteaux, inspiraient un respect involontaire. Il faisait une assez forte bourrasque, elle fut encore augmentée par l’incendie qui hurlait dans un grand tiers du bâtiment. Je dois avouer, n’en déplaise à mon sexe, que les femmes, dans cette circonstance, montrèrent plus de courage que la plupart des hommes. Pâles et blanches, la nuit les avait surprises dans leurs lits (elles n’avaient guère que leurs couvertures pour vêtement), et tout incrédule que j’étais déjà alors, elles me semblèrent des anges descendus du ciel pour nous faire honte et nous donner du cæur. Du reste, il y eut aussi des hommes qui montrèrent de la bravoure. Je me rappelle surtout un M. D.....ff, notre ex-ambassadeur de Russie à Copenhague: il avait ôté ses souliers, sa cravate, son veston dont il avait attaché les manches sur la poitrine — et, assis sur un gros câble tendu, les pieds ballants, il fumait tranquillement son cigare, et nous regardait les uns après les autres d’un petit air de pitié narquoise. Quant à moi, je m’étais réfugié sur une des échelles extérieures, et j’étais assis sur l’une des dernières marches. Je regardais avec stupeur l’écume rouge qui bouillonnait au-dessous de moi, et dont quelques flocons sautaient jusqu’à mon visage, et je me disais: «Voilà donc où il faudra périr, à dis-huit ans!» Car j’étais bien décidé à me laisser noyer plutôt que griller. La flamme se voûtait au-dessus de moi, et je distinguais bien son hurlement de celui des vagues.

Non loin de moi, sur la même échelle, était assise une petite vieille, quelque cuisinière, probablement, d’une des familles qui étaient embarquées pour l’Europe. La tête enfoncée dans ses mains, elle semblait murmurer des prières. Tout à coup, elle jeta sur moi un regard rapide, et, soit qu’elle crût lire sur mon visage une détermination funeste, soit par toute autre raison, elle saisit mon bras, et d’une voix presque suppliante, elle me dit avec insistence: «Non, barine, personne n’a le droit de disposer de sa propre vie, vous pas plus qu’un autre. Il faut

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subir le sort que la Providence vous envoie, sans cela ce serait un suicide, et vous seriez puni dans l’autre monde».

Je n’avais eu aucune envie de me suicider, mais, par une sorte de bravade bien inexplicable dans ma position, je fis deux ou trois fois semblant de mettre à exécution l’intention qu’elle me prêtait, et chaque fois la pauvre vieille se précipitait vers moi pour m’empêcher d’accomplir ce qui était à ses yeux un grand crime. A la fin, saisi d’une sorte de honte, je m’arrêtai. En effet, pourquoi jouer ainsi la comédie en présence d’une mort, qu’en ce moment, je croyais vraiment imminente et inévitable? Du reste, je n’eus pas le temps de me rendre compte de cette bizarrerie des sentiments, ni d’admirer le manque d’égoïsme (ce qu’on nommerait aujourd’hui l’altruisme) de la pauvre femme, car dans ce moment les hurlements des flammes au-dessus de nos têtes redoublèrent de violence; mais dans ce même moment aussi, une voix d’airain (ce fut celle de notre ange sauveur), une voix éclata au-dessus de nous: «Que faites-vous là, malheureux? vous allez périr, suivezmoi!» Et aussitôt, sans savoir qui nous appelait, ni où il fallait aller, nous nous levâmes, la bonne femme et moi, comme poussés par un ressort, et nous nous lançâmes à travers la fumée, à la suite d’un matelot en veste bleue, que nous voyons devant nous grimper le long d’une échelle de corde. Sans savoir pourquoi, je grimpai derrière lui sur cette échelle; je crois que dans ce moment, s’il s’était jeté à l’eau ou s’il avait fait n’importe quoi d’extraordinaire, je l’aurais aveuglément imité. Après avoir gravi deux ou trois échelons, le matelot sauta lourdement sur le haut d’une des voitures dont le bas commençait déjà à flamber. Je sautai après lui; j’entendis la vieille sauter après moi: puis, du haut de cette première voiture, le matelot sauta sur une seconde voiture, puis sur une troisième; moi toujours derrière lui — et nous nous trouvâmes ainsi sur le devant du vaisseau.

Presque tous les passagers étaient rassemblés là. Des matelots, sous la surveillance du capitaine, étaient occupés à descendre à la mer une de nos deux chaloupes, heureusement la plus grande. Par-dessus l’autre bord du navire, j’aperçus, vivement éclairée par l’incendie, la falaise abrupte qui descend vers Lübeck. Il y avait certainement près de deux kilomètres jusqu’à cette falaise. Je ne savais pas nager. L’endroit sur lequel nous étions échoués (car nous l’étions sans nous en être doutés), était probablement assez peu profond, mais les vagues étaient très hautes. Pourtant, dès que j’eus aperçu la falaise, la persuasion que j’étais sauvé s’empara de moi — et à la stupéfaction des pesonnes qui m’entouraient, je fis plusieurs bonds en l’air, en criant: «Hip! hip! hourrah!» Je ne voulus pas m’approcher do 1’endroit où la foule se pressait pour arriver à l’escalier qui menait à la grande chaloupe. Il y avait là trop de femmes, de vieillards et d’enfants; et puis, moi, depuis la vue de la falaise, je ne me pressais plus, j’étais sûr de mon salut. Je

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remarquai avec étonnement que presque aucun des enfants n’avait peur, que quelques-uns même s’endormaient sur l’épaule de leur mère. Aucun ne périt.

J’aperçus au milieu du groupe des passagers un général de haute taille, les vêtements tout ruisselants d’eau, qui se tenait immobile, appuyé contre un banc placé horizontalement, qu’il venait de détacher du vaisseau. J’appris que dans un premier moment de terreur il avait brutalement repoussé une femme qui voulait passer avant lui pour sauter dans une des premières embarcations qui avaient sombré. Saisi par un steward qui l’avait rejeté sur le vaisseau, le vieux soldat eut honte de sa couardise momentanée, et il se jura de ne quitter le navire que le dernier, après le capitaine. Il était de grande taille, pâle, avec une écorchure sanglante au front, et promenait autour de lui des regards contrits et résignés, comme s’il eût demandé pardon.

Pendant ce temps, je m’étais approché du côté gauche du vaisseau, et j’aperçus notre petite chaloupe dansant sur les vagues comme un joujou; deux matelots qui s’y trouvaient faisaient signe aux passagers de risquer le saut. Mais ce n’était pas chose facile, le Nicolas Ier était un vapeur de haut bord, et il fallait tomber bien d’aplomb pour ne pas faire chavirer la chaloupe. Enfin je me décidai: je commençai par poser mes pieds sur une chaîne d’ancre qui était tendue le long du bâtiment à l’extérieur, et j’allais m’élancer, quand une masse lourde et molle vint s’abattre sur moi. Une femme s’était cramponnée à mon cou et pendait inerte le long de mon corps. J’avoue que mon premier mouvement fut de m’emparer violemment de cette main, et de me débarrasser de cette masse en la jetant par-dessus ma tête; mais fort heureusement je ne suivis pas ce premier mouvement-là. Le choc faillit nous précipiter tous les deux dans la mer, mais par bonheur il se trouva là, flottant devant mon nez, pendant de je ne sais où, un bout de corde auquel je m’accrochai d’une main avec rage, m’écorchant jusqu’au sang... puis, jetant un regard au-dessous de moi, je m’aperçus que moi et mon fardeau nous nous trouvions juste au-dessus de la chaloupe, et... à la grâce de Dieu! je me laissai glisser... le bateau craqua dans toutes ses jointures... «Hourrah!» crièrent les matelots. Je déposai ma compagne évanouie au fond du bateau, et me retournai aussitôt vers le navire, où j’aperçus une quantité de têtes, de femmes surtout, qui se pressaient fiévreusement le long du bord.

«Sautez!» m’écriai-je en tendant les bras. Dans cet instant, la réussite de ma hardiesse, la conviction d’être isolé des flammes, me donnaient une force et un courage indicibles; et je reçus les trois seules femmes qui se décidèrent à sauter dans ma chaloupe avec autant de facilité que l’on attrape des pommes au temps de la cueillette. Il est à remarquer que chacune de ces dames poussa un cri perçant au moment de se jeter du haut du navire, et arrivée au bas était évanouie. Un

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monsieur, probablement affolé, faillit tuer une de ces malhettreuses en jetant une lourde cassette qui se brisa en tombant dans notre bateau, et laissa voir un assez riche nécessaire. Sans me demander si j’avais le droit d’en disposer, je fis immédiatement présent de cette cassette aux deux matelots, qui la reçurent avec tout aussi peu de scrupule. Puis aussitôt nous fîmes force de rames vers le rivage, accompagnés des cris: «Revenez vite! renvoyez-nous la chaloupe!» Aussi, dès qu’il n’y eut plus qu’un mètre de profondeur d’eau, fallut-il descendre. Une pluie fine et froide s’était mise à tomber depuis une heure, sans avoir aucun effet sur l’incendie, mais elle nous trempa définitivement jusqu’aux os.

Enfin nous parvînmes à ce bienheureux rivage qui n’était qu’une vaste mare de boue liquide et gluante, où l’on enfonçait jusqu’aux genoux.

Notre barque s’éloigna rapidement et se mit, ainsi que la grande chaloupe, à faire la navette du navire au rivage. Peu de voyageurs avaient péri, huit en tout: l’un était tombé dans la soute au charbon, un autre s’était noyé pour avoir voulu emporter tout son argent sur lui — ce dernier, dont je savais à peine le nom, avait joué aux échecs avec moi pendant une grande partie de la journée, et il y avait mis un tel acharnement que le prince W..., qui suivait notre partie, finit par s’écrier: «On dirait que vous jouez comme s’il s’agissait entre vous de vie ou de mort!»

Quant aux bagages, ils furent presque tous perdus, ainsi que les voitures.

Dans le nombre des dames échappées du naufrage, il y en avait une, madame T..., fort jolie et fort aimable, mais encombrée de ses quatre petites filles avec leurs bonnes; aussi restait-elle abandonnée sur la plage, les pieds nus, les épaules à peine couvertes. Je crus devoir faire mon galant chevalier, ce qui me coûta mon veston que j’avais conservé jusque-là, ma cravate et même mes bottes; en outre, un paysan avec une charrette attelée de deux chevaux, que j’avais été chercher en haut de la falaise et que j’avais envoyé en avant à la rencontre des naufragées, ne jugea pas à propos de m’attendre, et partit pour Lübeck avec toutes mes voyageuses, de sorte que je restai seul, à demi nu, trempé jusqu’aux os, en présence de la mer, où notre vaisseau achevait lentement de se consumer. Je dis bien achevait, car jamais je n’aurais cru qu’une aussi grande «machine», pût être aussi rapidement détruite. Ce n’était plus qu’une large tache flamboyante posée immobile sur la mer, sillonnée par les contours noirs des cheminées et des mâts, et que des mouettes paicouraient d’un vol lourd et indifférent — puis un grand panache de cendres parsemé de petites étincelles qui s’éparpillaient en vastes lignes courbes sur les flots déjà moins agités. N’est-ce que cela? pensai-je, et toute notre vie n’est-elle qu’une pincée de cendres qui se disperse au vent?

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Heureusement pour le philosophe qui commençait à claquer des dents, un autre charretier vint me ramasser. Le brave homme se fit payer deux ducats, mais en compensation il m’enveloppa de sa grosse houppelande, et me chanta deux ou trois chansons mecklembourgeoises qui me parurent assez jolies. C’est ainsi que je gagnai Lübeck au lever du soleil; j’y retrouvai mes compagnons d’infortune, et nous partîmes pour Hambourg. Là nous trouvâmes vingt mille roubles argent que l’empereur Nicolas, précisément alors de passage à Berlin, nous avait envoyés par un aide de camp. Tous les hommes se réunirent, et il fut décidé que cette somme serait offerte aux voyageuses. Ceci nous était d’autant plus facile, qu’à cette époque, tout Russe venant en Allemagne y jouissait d’un crédit illimité. Il n’en est plus de même maintenant!

Le matelot auquel j’avais promis au nom de ma mére des sommes exorbitantes s’il me sauvait la vie, vint réclamer 1’exécution de ma promesse. Mais comme je n’étais pas bien sûr de son identité, et que d’ailleurs celui-là n’avait rien du tout fait pour moi, je lui offris un thaler qu’il accepta avec reconnaissance.

Quant à la pauvre vieille cuisinière qui avait témoigné tant d’inté-rêt pour le salut de mon âme, je ne l’ai plus revue, — mais pour celle-là, rôtie ou noyée, je suis bien sûr qu’elle a sa place marquée au paradis.

Перевод

ПОЖАР НА МОРЕ

Это было в мае 1838 года.

Я находился вместе с множеством других пассажиров на пароходе «Николай I», делавшем рейсы между Петербургом и Любеком. Так как в то время железные дороги еще мало процветали, то все путешественники избирали морской путь. По этой же причине многие из них брали с собою собственные экипажи, чтобы продолжать свое путешествие по Германии, Франции и т. д.

У нас на корабле, помнится мне, было двадцать восемь господских экипажей. Нас, пассажиров, было около двухсот восьмидесяти, считая в этом числе человек двадцать детей.

Я был тогда очень молод и, не страдая морскою болезнью, очень был занят всеми этими новыми впечатлениями. На корабле было несколько дам, замечательно красивых или хорошеньких, — большая часть из них умерла, увы!

Матушка в первый раз отпустила меня ехать одного, и я должен был обещать ей вести себя благоразумно и, главное, не дотрогиваться до карт... И вот именно это-то последнее обещание и было нарушено первым.

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В этот самый вечер было большое собрание в общей каюте, — между прочим, тут находилось несколько игроков, хорошо известных в Петербурге. Они каждый вечер играли в банк, и золото, которое в то время можно было видеть чаще, нежели теперь, оглушительно звенело.

Один из этих господ, видя, что я держусь в стороне, и не зная причины этого, неожиданно предложил мне принять участие в его игре; когда я, с наивностью своих девятнадцати лет, объяснил ему причину своего воздержания, — он расхохотался и, обращаясь к своим товарищам, воскликнул, что нашел сокровище: молодого человека, никогда не дотрогивавшегося до карт и вследствие этого самого предназначенного иметь огромное, неслыханное счастье, настоящее счастье простаков!..

Не знаю, как это случилось, но через десять минут я уже сидел за игорным столом, с руками, полными карт, имея обеспеченную долю в игре, — и играл, играл отчаянно.

И нужно сознаться, что старая пословица не соврала. Деньги текли ко мне ручьями; две кучки золота возвышались на столе по обеим сторонам моих дрожащих и покрытых каплями пота рук. Игрок, который завлек меня, не переставал меня подбивать и поощрять... Сказать по правде, я уж думал, что сразу разбогатею!..

Вдруг дверь каюты распахивается во всю ширину, в нее врывается дама вне себя, замирающим голосом восклицает: «Пожар!» — и падает в обмороке на диван. Это произвело сильнейшее волнение; никто не остался на месте; золото, серебро, банковые билеты покатились и рассыпались во все стороны, и мы все бросились вон. Как мы раньше не заметили дыма, который набирался уже и в каюту? я этого совершенно не понимаю! лестница была полна им. Темно-красное зарево, как от горящего каменного угля, вспыхивало там и сям. Во мгновение ока все были на палубе. Два широких столба дыма пополам с огнем поднимались по обеим сторонам трубы и вдоль мачт; началась ужаснейшая суматоха, которая уже и не прекращалась. Беспорядок был невообразимый: чувствовалось, что отчаянное чувство самохранения охватило все эти человеческие существа и в том числе меня первого. Я помню, что схватил за руку матроса и обещал ему десять тысяч рублей от имени матушки, если ему удастся спасти меня. Матрос, который, естественно, не мог принять моих слов за серьезное, высвободился от меня; да я и сам не настаивал, понимая, что в том, что я говорю, нет здравого смысла. Впрочем, в том, что я видел вокруг себя, его было не более. Совершенно справедливо, что ничто не равняется трагизму кораблекрушения или пожара в море, кроме их комизма. Например: богатый помещик, охваченный ужасом, ползал по полу, неистово кладя земные поклоны; когда же вода, которую изобильно лили в отверстия угольных трюмов, на минуту укротила

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ярость пламени, он встал во весь рост и закричал громовым голосом: «Маловерные! неужели вы думали, что наш бог, русский бог, нас покинет?» Но в ту же минуту пламя метнуло сильнее, и многоверующий бедняк опять упал на четвереньки и снова принялся бить земные поклоны. Какой-то генерал с угрюмо-растерянным взором не переставал кричать: «Нужно послать курьера к государю! К нему послали курьера, когда был бунт военных поселений, где я был, да, лично, и это спасло хоть некоторых из нас!» Другой барин, с дождевым зонтиком в руках, вдруг с ожесточением принялся прокалывать находившийся тут же в багаже дрянной портретишко, писанный масляными красками и привязанный к своему мольберту. Концом зонтика он проткнул пять дырок: на месте глаз, носа, рта и ушей. Разрушение это он сопровождал восклицанием: «К чему всё это теперь?» И эта картина ему не принадлежала! Толстый господин, весь в слезах, похожий на немецкого пивовара, не переставал вопить плаксивым голосом: «Капитан! Капитан!..» И когда капитан, вышедший из терпенья, схватил его за шиворот и крикнул ему: «Ну? я капитан, что же вам нужно?» — толстяк посмотрел на него с убитым видом и снова принялся стонать: «Капитан!»

И, однако, этот же капитан всем нам спас жизнь. Во-первых, тем, что в последнюю минуту, когда еще можно было добраться до машины, изменил направление нашего судна, которое, идя прямо на Любек, вместо того чтобы круто повернуть к берегу, непременно сгорело бы раньше, чем вошло в гавань; и во-вторых, тем еще, что приказал матросам обнажить кортики и без сожаления колоть всякого, кто попробует дотронуться до одной из двух оставшихся шлюпок, — все остальные опрокинулись благодаря неопытности пассажиров, хотевших спустить их в море.

Матросы, большею частью датчане, со своими энергическими и холодными лицами и чуть не кровавым отблеском пламени на лезвиях ножей, внушали невольный страх. Был довольно сильный шквал; он еще усилился от пожара, который ревел в доброй трети судна. Я должен сознаться, что бы там ни подумала об этом мужская половина рода человеческого, что женщины в этом случае показали больше мужества, нежели мужчины. Бледных как смерть ночь застала их в постелях (вместо всякой одежды на них были накинуты только одеяла), и как ни был я неверующ уже тогда, но они показались мне ангелами, сошедшими с неба, чтобы пристыдить нас и придать нам храбрости. Но были, однако, и мужчины, которые выказали бесстрашие. Я особенно помню одного, г. Д—ва, нашего бывшего русского посланника в Копенгагене: он скинул сапоги, галстук и сюртук, который завязал рукавами на груди, и, сидя на толстом натянутом канате, болтал ногами, спокойно куря свою сигару и оглядывая каждого из нас по очереди с видом насмешливого сожаления. Что

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касается меня, то я нашел убежище на наружной лестнице, где и уселся на одной из последних ступенек. Я с оцепенением смотрел на красную пену, которая клокотала подо мною и брызги которой долетали мне в лицо, и говорил себе: «Так вот где придется погибнуть в девятнадцать лет!» — потому что я твердо решился лучше утонуть, чем испечься. Пламя сводом выгибалось надо мною, и я очень хорошо отличал его вой от рева волн.

Недалеко от меня, на той же лестнице, сидела маленькая старушка, должно быть кухарка которого-нибудь из семейств, ехавших в Европу. Спрятав голову в руки, она, казалось, шептала молитвы, — вдруг она быстро взглянула на меня и, потому ли, что ей показалось, будто она прочла на моем лице пагубную решимость, или по какой другой причине, но она схватила меня за руку и почти умоляющим голосом настоятельно сказала: «Нет, барин, никто в своей жизни не волен, — и вы не вольны, как никто не волен. Что бог велит, то пусть и сбудется, — ведь это значило бы на себя руки наложить, а за это бы вас на том свете покарали».

У меня не было до той минуты никакой охоты к самоубийству, но тут, из-за чего-то вроде хвастовства, совершенно необъяснимого в моем положении, я два или три раза притворился, будто хочу исполнить намерение, которое она предполагает во мне, — и каждый раз бедная старуха бросалась ко мне, чтобы помешать тому, что в глазах ее было преступлением. Наконец мне сделалось стыдно, и я перестал. В самом деле, зачем играть комедию в присутствии смерти, которую в эту минуту я серьезно считал угрожающей и неизбежной? Впрочем, мне не хватило временя ни отдать себе отчета в этой странности чувств, ни восхититься отсутствием эгоизма (что теперь назвали бы альтруизмом) бедной женщины, потому что в эту минуту рев пламени над нашими головами удвоил свою ярость; но как раз в ту же минуту голос, звеневший точно медь (это был голос нашего спасителя), раздался над нами: «Что вы там делаете, несчастные? Вы погибнете, идите за мною!» И тотчас, не зная, ни кто нас зовет, ни куда нужно идти, и старуха и я вскочили, будто подтолкнутые пружиной, и бросились сквозь дым вслед за матросом в синей куртке, который впереди нас лез вверх по веревочной лестнице. Не зная зачем, и я полез за ним по этой, лестнице; я думаю, что если бы он в эту минуту бросился в воду или сделал бы вообще что бы то ни было совсем необыкновенное, я слепо последовал бы за ним. Взобравшись ва две или три ступеньки, матрос тяжело спрыгнул на верх одного из экипажей, низ которого уже загорался. Я прыгнул за ним и слышал, как старуха прыгнула за мною; потом с этого первого экипажа матрос прыгнул на второй, потом на третий, я всё время позади него — и мы таким образом очутились на носу парохода.

Почти все пассажиры собрались здесь. Матросы под

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наблюдением капитана спускали в море одну из наших двух шлюпок — к счастью, самую большую. Через другой борт корабля я увидел ярко освещенные пожаром крутые береговые утесы, которые спускаются к Любеку. Было добрых две версты до этих утесов. Я не умел плавать — место, на котором мы стали на мель (мы и не заметили, как это случилось), было, по всей вероятности, не глубоко, но волны были очень велики. И все-таки, как только я увидел скалы, уверенность, что я спасен, овладела мною — и, к изумлению окружающих меня лиц, я несколько раз подпрыгнул и крикнул: «Ура!» Я не захотел подойти ближе к тому месту, где толпа теснилась, чтобы добраться до лестницы, которая вела к большой шлюпке, — там было слишком много женщин, стариков и детей; да я с тех пор, как увидел скалы, уже и не торопился больше: я был уверен, что спасен. Я с удивлением заметил, что почти никто из детей не выказывал страха, что некоторые из них даже засыпали на руках у матерей. Ни один ребенок не погиб.

Я увидел среди группы пассажиров высокого генерала; с платья его текла вода; он стоял неподвижно, опираясь на поставленную стоймя лавку, которую он только что оторвал. Мне сказали, что в первую минуту перепуга он грубо оттолкнул женщину, которая хотела опередить его и раньше него спрыгнуть в одну из первых лодок, опрокинувшихся потом по вине пассажиров. Один из служащих на пароходе схватил его в охапку и с силой отбросил назад, на судно, и старый солдат, устыдившись своей минутной трусости, поклялся сойти с корабля только последним, после капитана. Он был высокого роста, бледен, с кровавой ссадиной на лбу, и глядел вокруг взглядом сокрушенным и покорным, точно бы просил прощенья.

В это время я приблизился к левому борту корабля и увидел нашу меньшую шлюпку, пляшущую на волнах, как игрушка; два находившиеся в ней матроса знаками приглашали пассажиров сделать рискованный прыжок в нее — но это было не легко: «Николай I» был линейный корабль, и нужно было упасть очень ловко, чтобы не опрокинуть шлюпки. Наконец я решился: я начал с того, что стал на якорную цепь, которая была протянута снаружи вдоль корабля, и собирался уже сделать скачок, когда толстая, тяжелая и мягкая масса обрушилась на меня. Женщина уцепилась мне за шею и недвижно повисла на мне. Признаюсь, первым моим побуждением было насильно перебросить ее руки через мою голову и таким образом отделаться от этой массы; к счастью, я не последовал этому побуждению. Толчок чуть не сбросил нас обоих в море, но, к счастью, тут же, перед моим носом, болтался, вися неизвестно откуда, конец веревки, за который я уцепился одною рукою, с озлоблением, ссаживая себе кожу до крови... потом, взглянув вниз, я увидел, что я и моя ноша находимся как раз над шлюпкою и... тогда с богом! Я

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скользнул вниз... лодка затрещала во всех швах... «Ура!» — крикнули матросы. Я уложил свою ношу, находившуюся в обмороке, на дно лодки и тотчас обернулся лицом к кораблю, где увидел множество голов, особенно женских, лихорадочно теснившихся вдоль борта.

«Прыгайте!» — крикнул я, протягивая руки. В эту минуту успех моей смелой попытки, уверенность, что я в безопасности от огня, придавали мне несказанную силу и отвагу, и я поймал единственных трех женщин, решившихся прыгнуть в мою шлюпку, так же легко, как ловят яблоки во время сбора. Нужно заметить, что каждая из этих дам непременно резко вскрикивала в ту минуту, когда бросалась с корабля, и, очутившись внизу, падала в обморок. Один господин, вероятно, одуревший с перепугу, едва не убил одну из этих несчастных, бросив тяжелую шкатулку, которая разбилась, падая в нашу лодку, и оказалась довольно дорогим несессером. Не спрашивая себя, имею ли я право распоряжаться ею, я тотчас подарил ее двум матросам, которые точно так же без всякого стеснения приняли подарок. Мы тотчас стали грести изо всех сил к берегу, сопровождаемые криками: «Возвращайтесь скорее! пришлите нам назад шлюпку!» Поэтому, когда оказалось не больше аршина глубины, пришлось вылезать. Мелкий, холодный дождик уже с час как моросил, не оказывая никакого влияния на пожар, но нас он промочил окончательно до костей.

Наконец мы добрались до этого желанного берега, который оказался не чем иным, как обширной лужей жидкой и липкой грязи, где ноги вязли по колено.

Наша лодка быстро удалилась и так же, как и большая шлюпка, принялась сновать между кораблем и берегом. Пассажиров погибло мало, всего восемь: один упал в угольный трюм; другой утонул, потому что захватил с собою все свои деньги. Этот последний, имя которого я едва знал, играл со мною в шахматы в продолжение большей части дня и делал это с таким ожесточением, что князь W..., следивший за нашею партией, кончил тем, что воскликнул: «Можно подумать, что вы играете, будто у вас дело идет о жизни и смерти!»

Что касается до багажа, то он почти весь погиб, так же как и экипажи.

В числе дам, спасшихся от крушения, была одна г-жа Т..., очень хорошенькая и милая, но связанная своими четырьмя дочками и их нянюшками; поэтому она и оставалась покинутой на берегу, босая, с едва прикрытыми плечами. Я почел нужным разыграть любезного кавалера, что стоило мне моего сюртука, который я до тех пор сохранил, галстука и даже сапог; кроме того, крестьянин с тележкой, запряженной парой лошадей, за которым я сбегал на верх утесов и которого послал вперед, не нашел нужным дождаться меня и уехал в Любек со всеми моими спутницами, так что я остался один,

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полураздетый, промокший до костей, в виду моря, где наш пароход медленно догорал. Я именно говорю «догорал», потому что я никогда бы не поверил, что такая «махинища» может быть так скоро уничтожена. Это было теперь не более, как широкое пылающее пятно, недвижимое на море, изборожденное черными контурами труб и мачт и вокруг которого тяжелым и равнодушным полетом сновали чайки, — потом большой сноп золы, испещренный мелкими искрами и рассыпа́вшийся широкими кривыми линиями уже по менее беспокойным волнам. И только? подумал я: и вся наша жизнь разве только щепотка золы, которая разносится по ветру?

К счастью для философа, у которого начинал уже зуб на зуб не попадать, другой фурщик забрал меня. Он взял за это два дуката, но зато укутал меня в свой толстый плащ и спел мне две или три мекленбургские песни, которые мне довольно понравились. Таким образом, я добрался до Любека на заре; тут я встретил своих товарищей по крушению, и мы отправились в Гамбург. Там мы нашли двадцать тысяч рублей серебром, которые император Николай, как раз находившийся тогда проездом в Берлине, прислал нам со своим адъютантом. Все мужчины собрались и общим голосом решили предложить эти деньги дамам. Нам было тем легче сделать это, что в те времена всякий русский, приезжавший в Германию, пользовался неограниченным кредитом. Теперь уже не то.

Матрос, которому я за свое спасение наобещал непомерную сумму от имени матушки, явился требовать от меня исполнения моего обещания. Но так как я не был вполне уверен, он ли это действительно, да и сверх того, так как он ровно ничего не сделал, чтобы меня спасти, то я предложил ему талер, который он и принял с благодарностью.

Что касается до бедной старушки кухарки, которая так заботилась о спасении моей души, то я ее никогда больше не видал — но уж про нее-то наверно можно сказать, что сгорела ли она, или утонула, а место ее уже было уготовано в раю.

Буживаль. 17 июня 1883 г.
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Тургенев И.С. Un incendie en mer // И.С. Тургенев. Полное собрание сочинений и писем в тридцати томах. М.: Наука, 1982. Т. 11. С. 293—305.
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